Pierre
Khalfa
La signature
le 13 juillet d’un accord mettant la Grèce sous tutelle et
imposant des mesures d’austérité inouïes constitue une débâcle
politique pour un gouvernement qui avait été élu pour restaurer la
souveraineté populaire et en finir avec les politiques néolibérales.
Quelles leçons peut en tirer pour l’avenir la gauche de
transformation sociale et écologique ? Quatre points sont à
souligner.
1. Le
premier concerne le champ stratégique européen. La Grèce a eu à
affronter la coalition de tous les États européens et des
institutions européennes. En face, les mouvements de soutien au
peuple grec sont restés limités et n’ont pas permis de peser sur
le cours des choses. Cette situation renvoie à un échec historique,
celui de la construction d’un mouvement social européen capable
d’agir comme force unifiée face aux institutions européennes. La
disparition du Forum social européen, la faiblesse du processus qui
l’a remplacé (l’Altersummit), la carence totale de ce géant aux
pieds d’argile qu’est de la Confédération européenne des
syndicats ont empêché l’émergence d’un contre-pouvoir à
l’échelle européenne alors même que les politiques se décident
essentiellement à ce niveau. Face à cet échec, la tentation est
grande d’abandonner le terrain européen. L’exemple de la Grèce
vient de nous rappeler qu’une rupture au niveau national peut être
étouffée en l’absence d’appui dans d’autres pays. La
construction d’un mouvement social européen capable de faire
contrepoids aux institutions européennes est décisive pour
rééquilibrer les rapports de forces en Europe, même si
d’expérience nous savons que cela ne sera pas facile.
2. Le
deuxième concerne l’attitude des dirigeants européens. Il est
vain de croire qu’il est possible de convaincre les mandataires de
l’oligarchie financière dans une discussion rationnelle de bonne
foi. L’expérience des négociations entre la Grèce et la Troïka
a montré que tout était une question de rapports de forces.
L’objectif unanime des dirigeants européens était d’empêcher
un succès du gouvernement Syriza. Il fallait montrer qu’il était
impossible de mener une politique alternative en Europe. Les
institutions et les gouvernements européens avaient ainsi
parfaitement compris l’enjeu de la situation : un succès de Syriza
remettrait en cause trente ans de néolibéralisme en Europe et
risquerait d’entraîner une contagion dans tout le continent. Cette
leçon doit être retenue. Un gouvernement voulant rompre avec les
politiques néolibérales fera face à l’opposition acharnée des
dirigeants européens. Il n’y aura pas d’alternative aux
politiques néolibérales sans l’ouverture d’une crise politique
en Europe.
3. Comment
un gouvernement de gauche voulant rompre avec les politiques
d’austérité peut-il alors construire les rapports de forces
nécessaires ? La question centrale de toute stratégie, qu’elle
soit militaire ou autre, se résume in fine à un seul point : garder
sa liberté de manœuvre et donc son autonomie de décision. Force
est de constater qu’hélas, le gouvernement grec n’a pas appliqué
ce principe et qu’il est resté sans réaction face à
l’étranglement financier auquel il a été soumis. Par peur d’être
entrainé dans une logique qui aurait abouti à une sortie de l’euro,
il a ainsi refusé de prendre la moindre mesure unilatérale –
comme par exemple un contrôle des capitaux, un moratoire sur tout ou
partie du remboursement de la dette, l’introduction d'une monnaie
complémentaire (IOU) - qui lui aurait permis de desserrer l’étau.
Prendre des mesures unilatérales, même si elles sont contraires aux
traités et aux directives européennes, est la condition pour
appliquer un programme de rupture.
4. C’est
dans ce cadre que se pose la question de la sortie de l’euro.
Sortir de l’euro a d’abord un coût économique important et, de
l’aveu même de ses partisans, ses possibles bénéfices
prendraient un certain temps. La sortie a aussi un coût politique.
Au-delà même du fait que, dans beaucoup de pays européens, la
population reste attachée à l’appartenance à la zone euro, la
sortie marquerait un échec de la tentative de refondation de
l’Europe sur des bases progressistes. Elle risquerait d’isoler le
pays qui la pratiquerait et pourrait aggraver la concurrence entre
les pays si elle s’accompagne d’une politique répétée de
dévaluations compétitives. Elle ne résout pas par miracle la
question des rapports de forces dans l’affrontement avec les
politiques néolibérales. C’est pourquoi elle ne peut être un
projet en soi. Elle ne peut cependant être a priori exclue. Si un
pays décide d’entamer un bras de fer avec les institutions
européennes, son résultat pourrait aboutir à cette solution. La
refuser d’emblée, c’est, comme l’a montré l’exemple de la
Grèce, se paralyser soi-même. La sortie de l’euro ne peut être
un projet politique, mais elle peut être le résultat circonstanciel
d’une bataille politique. Il faut rompre avec l’austérité et le
néolibéralisme, dans la zone euro si possible, en dehors si
nécessaire.
Source:
Comments
Post a Comment